Ce n’est pas celui, si manifeste, accompagné de sang, des mugissements de la foule excitée à sa vue ou au son des bruits de la hache coupante prête à tomber sur les têtes blondes ou blanchissantes des premiers chrétiens dont nous parlons ici. Ce martyre a sa gloire propre.
Ce n’est pas non plus celui provoqué par la haine des sans-Dieu ou celle des assassins aux sabres aiguisés qui ont tranché les liens de cette vie mortelle aux Foucauld, de Brébeuf, Yorgues, ou même à toutes ces femmes emmenées comme esclaves dans les harems musulmans. Ce martyre a une gloire reconnue et visible de Dieu et des hommes aussi.
Non. Ici, nous voulons parler de ces martyres quotidiens que Sainte Thérèse mentionne dans son autobiographie. Le martyre à coups d’épingles. Ce martyre est plus raffiné et plus acéré car il n’est connu que de Dieu seul et de Marie Immaculée.
Les anges ne peuvent connaître ce martyre car ils n’ont pas de corps et Dieu ne leur révèle pas nécessairement le fond du cœur des hommes. Les démons ne peuvent en comprendre les richesses car ce martyre est si inconnu, si commun, si banal qu’il n’a pour eux, aucun intérêt. Seul l’homme et le chevalier en particulier, en ont l’expérience journalière.
Cependant, nous avons une Mère qui en a bu toute l’amertume. L’Immaculée est celle qui a ouvert la voie, elle en connaît toutes les avenues, elle en a vécu tout le drame dans l’intimité de Nazareth. Elle a marché dans les sillons du Corps labouré de son divin Fils, non seulement dans son Cœur mais toute son âme en a étudié et goûté le fiel.
Ce martyre à petit feu réside dans l’obscurité d’un foyer, d’un cloitre, d’un presbytère. Il se rencontre à tous les carrefours de la vie et même, à l’heure de la mort. Il est silencieux, il se creuse une place dans la pierre des cœurs. Parfois, il sort de sa torpeur comme un volcan puis s’apaise à nouveau dans la prière silencieuse au pied de la croix.
Tout chrétien est un martyr et tout martyr doit être chrétien. Ce martyre sans Marie n’a pas de sens. Il ne prend de la valeur que lorsque Marie l’introduit dans son Cœur Immaculé. Pour cela, il faut s’approcher d’Elle avec confiance, presser notre cœur sur ses propres épingles afin d’en recevoir, par cette union de souffrances, les mérites que cette Mère nous a acquis par sa Co-rédemption.
Prenons garde, celui qui accepte avec amour, paix et joie ce martyre, celui qui, ne regardant que l’amour du Crucifié, veut courir à ce champ de bataille, celui-là doit, auparavant en mesurer toute la profondeur, la longueur, la largeur et la hauteur. Ce champ de bataille produit des saints. Mais sans l’amour de Marie, il ne produit que des révoltes, des découragements, des haines, des rancœurs et des pleurs.
Ce martyre exige tout et brûle tout sur son passage : l’honneur doit être sacrifié, la raison d’être de celui qui le choisit en partage doit disparaître, la fécondité, l’efficacité et le rendement visible aux yeux des hommes sont immolés, et il consume jusqu’à l’identité de la personne. Ce feu dévorant, aux flammes plus cruelles que le feu matériel, vous rend à vos yeux et aux yeux des autres non pas semblable au néant mais à un déchet. Le néant serait plus plaisant puisque Dieu se répand et possède celui qui reconnaît n’être rien. Mais un déchet, un rebut, quelque chose que l’on ne sait nommer ? non, personne n’oserait aller jusque-là sans l’Immaculée.
Mais Marie est-elle allée aussi loin dans le martyre à coups d’épingles ? Oui, lorsqu’elle était sur terre, Celle qui se savait Vierge et pourtant Mère, était considérée comme les autres femmes, souillée aux yeux de la loi mosaïque car elle était devenue Mère. Elle se savait Mère de Dieu et toute sa raison d’être qui est le Christ, fut vilipendée, blasphémée, dénigrée, par ceux qui auraient dû rendre à son Fils honneur et gloire. Sa raison d’être a comme disparu dans un flot de sang et d’outrages. Sa fécondité, sa maternité, son efficacité est remise en cause lorsqu’elle se voit interdite par Son propre Fils de Lui porter secours au Calvaire. Elle aurait été la meilleure des avocates et les cœurs les plus durs n’auraient résisté à si douce parole au prétoire. Enfin, son identité, la reconnaissance de sa Pureté intacte depuis le premier instant de sa Conception, ne lui fut rendue que des siècles après sa monté au Ciel.
Oui vraiment, Marie fut celle qui conquit la première ce titre de Martyre à coups d’épingles. Et comme disait Thérèse, « Marie, Elle, n’avait pas de Sainte Vierge pour se consoler. »
Que fit cette douce Mère pour parcourir cette course si douloureuse et cachée ? Elle se dissimulait, elle se glissait, elle se cachait dans le creux de la muraille comme une innocente colombe en proie à ses persécuteurs. Elle s’enfonçait dans le sillon des chairs déchirées de son divin Fils afin qu’Elle, petite graine en terre profonde, puisse produire ce grand arbre qui est l’Eglise.
Ainsi doivent faire les chevaliers qui par grâce sont appelés à suivre ce genre de martyre qu’est la vie quotidienne. Cachons-nous dans les plaies du divin Crucifié, tenons compagnie à la Vierge innocente et enivrons-nous avec Elle du Vin précieux qui fait germer les vierges et jaillir d’autres chevaliers pour sauver les âmes.