La haine du serpent contre l’amour de Marie

La haine du serpent contre l’amour de Marie

La Paix est la récompense d’un vigoureux mouvement d’horreur contre le péché, par l’Immaculée.

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Dans l’inextricable réseau de pensées, de sentiments, de forces et de faiblesses où se débat la terre, si l’on me demandait quel chemin prendre pour faire la paix dans les âmes, je répondrais peut-être : le chemin de l’horreur. Ce qui manque le plus, ce n’est pas l’amour du bien, c’est l’horreur du mal.

L’horreur du mal, Très sainte et sublime chose, oubliée parmi les hommes.

Et cependant ce n’est pas la faute des événements. On dirait que le mal, voyant que les hommes oublient de le haïr, a voulu les y forcer : s’il conserve leur indulgence, il la conserve malgré lui, et cependant il la conserve.

Si, dans une chambre où plusieurs hommes attendent, sans connaître celui qu’ils attendent, on voyait tout à coup une grande ombre se projeter sur le mur, un frisson s’emparerait des spectateurs, et ce frisson dirait : quelqu’un de grand va venir.

Si tout à coup l’horreur du mal pénétrait les hommes, il semblerait, qu’une grande ombre, descendue du ciel, se projette sur la face de notre obscure planète, et Dieu ne serait pas loin, car cette ombre serait son ombre.

L’horreur du mal ne serait-elle pas un terrain sur lequel les hommes pourraient se donner rendez-vous?

Si la philosophie, la science, l’art, si toutes les forces et toutes les faiblesses se donnaient rendez-vous sur le terrain de l’horreur, cette entrevue de souverains aurait peut-être sa familiarité et sa grandeur.

Le monde qui corrompt l’air en le respirant, et flétrit toute chose en la touchant, a commis contre la charité un crime audacieux ; il n’a pas craint de la nommer, Quand le monde nomme la charité, il faut qu’il la fasse mentir ; car il n’emploie les mots que pour le mensonge.

Pour faire mentir le nom de la charité, quel procédé a-t-il choisi ? Il en a fait l’éloge, il l’a flattée comme un coupable qui veut séduire son juge : il a dit que la charité est une belle vertu, et qu’elle est pleine d’indulgence, même pour le mal.

Le monde a confondu l’amour du pécheur avec l’amour du péché, et il a donné à entendre que ceux-là manquaient à la charité qui avaient pour le péché une haine trop absolue. Le monde, qui ne connaît de l’amour que ses défaillances, a cru que la charité, puisqu’elle était amour, devait contenir un peu de faiblesse.

Alors il a voulu la tenter. Il lui a dit : Arrangeons-nous ensemble. Je t’admirerai tant que tu voudras, pourvu que tu ne dises pas mon véritable nom.

L’amour de l’homme pécheur et la haine du péché ont été habituellement en raison directe l’un de l’autre. Le monde voudrait faire croire le contraire. Le monde voudrait faire croire que pour aimer beaucoup le pécheur, il faut aimer un peu le péché.

Quant à lui, il aime le péché, mais il déteste le pécheur, parce que le monde habite les lieux où règne la haine. Vis à vis du péché le monde est indulgent. Vis à vis du pécheur, il est non pas sévère, mais implacable.

La grande haine des Saints contre le mal est une des magnificences qui au dernier jour raviront les hommes et les anges. Cette grande haine est un des sentiments les plus inintelligibles à l’homme corrompu. Cette grande haine est l’éclair que la pureté fait dans la nuit en brandissant son glaive.

Cette grande haine est d’institution divine.

Comme toutes les choses de premier ordre, elle a été promise avant d’être donnée. La promesse est sortie de la bouche de Dieu, au moment où commence l’histoire. II a promis que le serpent serait haï. Et pour que l’on ne se trompât point sur la nature de cette haine, il a confié ce don sublime à la charité et à la douceur. Il a chargé la Femme de haïr.

La haine du serpent a été confiée comme un dépôt à Celle qui devait aimer les pécheurs jusqu’à livrer pour eux à la mort son Fils, le Fils du Père, l’Emmanuel qu’on attendait. Ce fut aux douces mains de la Femme que fut confiée la haine sublime, comme un trésor de miséricorde; et pour qu’on sût d’où elle venait, Dieu dit qu’il placerait lui-même cette haine entre la femme et le serpent.

Il ne faut pas s’étonner que la Vierge Marie aimât singulièrement les pécheurs. C’est qu’elle avait pour le péché une haine faite exprès, une haine faite de main de Dieu.

Les ténèbres qui nous entourent sont particulièrement profondes parce que l’huma” ni té a laissé mourir ce feu sacré, la haine du mal.

Une immense conspiration, dans laquelle sont entrés beaucoup de gens qui ne s’en doutent pas, plaide la cause du mal devant la terre que nous habitons. La philosophie et la poésie sont entrées dans cette ténébreuse affaire. Nous avons tous les jours l’occasion de voir quelque nouveau salut, amical et respectueux, adressé par elles à l’esprit des ténèbres. Hegel, Renan, Victor Hugo sont entrés, par des portes différentes, dans le même souterrain. Certains hommes en sont venus à unir dans leur esprit l’idée du mal et l’idée du beau.

Voulez-vous savoir quelle est la figure du mal ? Demandez-le à ceux qui l’ont vu.

Sainte Catherine de Gènes tombait en défaillance pour avoir vu l’horreur d’un seul péché véniel. Sainte Thérèse disait que cette vue pourrait dissoudre un corps, fût-il de diamant. Sainte Catherine de Sienne, ayant vu l’esprit des ténèbres, dit qu’elle aimerait mieux marcher dans le feu jusqu’au dernier jugement que de le revoir une seconde.

L’indifférence dans laquelle a glissé cette terre est un monstre sur lequel l’esprit ne peut fixer les yeux, sans que l’horreur intervienne.

Je ne sais ce que sont les étoiles, mais, en tous cas, quand elles pâlissent dans les nuits d’été, confiant le secret de leur naissance aux silences et aux profondeurs de l’espace, il me semble qu’elles ont droit à un certain respect, car elles reculent notre horizon. Leur distance ressemble à une miséricorde. Car c’est une grâce pour l’homme captif d’apercevoir quelque part un peu d’air et de grandeur.

Or la terre a donné aux étoiles des noms de démons. On n’eût peut-être pas voulu les appeler peste ou lèpre-Et cependant vous savez de quels noms on les appelle. Et cependant la mort, avec son cortège de serviteurs,1 est la silhouette du mal aperçue dans le monde visible. Les gémissements de tout ce qui existe nous reprochent notre indifférence. Toutes les ruines, toutes les tombes, tous les cris, toutes les larmes, toutes les voix dont dispose un monde en deuil font appel à notre colère.

Et cependant les hommes ne répondent pas, comme s’ils étaient poussés vers leur ennemi par un stupide dévouement. Et ils restent séparés les uns des autres, séparés d’eux-mêmes, séparés de Dieu, sans énergie pour exécrer celui qui se moque et qui sépare.

Qui sait si la Paix n’est pas la récompense d’un vigoureux mouvement d’horreur?

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