La misère de l’homme

La misère de l’homme

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Qu’est-ce que l’homme, en vérité ?

Qu’on se figure quelqu’un qui n’est pas et qui, sortant du néant, est accueilli par le péché. Péché de la race d’abord, ensuite péché de la personne.

Il naît dans le sang et pleure avant de voir. Il donne la douleur avant de naître et quelquefois la mort en naissant. Il gémit avant d’ouvrir les yeux.

Corps, âme, esprit et cœur il est la proie de tout ce qui existe. Toutes les créatures forment contre lui une épouvantable, inévitable et toute-puissante conspiration.

Ses amis, qui sont rares, et ses ennemis, qui sont innombrables, s’entendent entre eux pour le perdre. Les créatures les plus irréconciliables entre elles se réconcilient pour conspirer sa ruine. Ruine du corps, ruine de l’esprit, ruine de l’âme, ruine du cœur. La bienveillance et la malveillance, la grâce et l’horreur, l’amour et la haine de tout ce qui respire s’arment pour le tromper et pour le tuer. Les êtres animés qui n’ont pas d’intention propre ont l’air d’en avoir une, celle de le faire souffrir et de le faire mourir. Le froid, le chaud, la pluie, la grêle et la foudre, etc., etc., ont l’air d’une armée parfaitement disciplinée, qui, sur les ordres d’un général obéi, lance sur l’homme la peste, la famine et le feu. Cette armée s’entend avec celle des animaux, des végétaux, des minéraux, pour s’opposer à lui sous toutes les formes imaginables.

Non content des horreurs inévitables, il en invente de prodigieuses. Lui qui ne sait pas la médecine, et qui ne peut se guérir ni d’un rhume ni d’un mal de dents, il devient actif, savant et puissant quand il s’agit de se faire souffrir. Il distribue à lui-même et aux autres, avec une industrie prodigieuse, la douleur et la mort, et avec elles la haine. Il fait l’impossible, et les choses inanimée, qui lui résistent quand il veut le bien, lui obéissent quand il veut son mal.

Les catastrophes sont fécondes en désespoirs, les désespoirs sont féconds en catastrophes, et nul ne voit le fond des abîmes engendrés par les abîmes, lesquels s’ouvrent et se creusent les uns sous les autres, béants et dévorants.

Il n’y a pas dans la création un abîme qui ne puisse contenir pour nous la maladie, le désespoir, la mort et l’enfer, multipliés les uns par les autres. Il n’y a pas un mouvement de l’âme et de l’esprit, fût-ce le plus doux, le plus bienveillant, le plus juste et le plus vrai, qui, égaré par les douleurs dont il est environné, précédé ou suivi, ne puisse contenir pour nous et pour nos amis la maladie, le désespoir, la mort et l’enfer.

Comptez les atomes de sa chair et de son sang, de ses nerfs, de ses fibres, de ses muscles et de ses os, etc., etc… Comptez toutes les impressions que cela peut recevoir ou du dedans ou du dehors, de la terre et de l’enfer ! Multipliez toutes ces choses les unes par les autres, et par toutes les autres choses, substances et influences que j’ai nommées et que je n’ai pas nommées… Comptez tous les mouvements intérieurs et extérieurs du corps, de l’âme et de l’esprit, toutes les pensées, — toutes les pensées, toutes les paroles, toutes les actions, toutes les omissions de cet homme et de tous les hommes (car il est en rapport avec tous les hommes et tous les hommes agissent sur lui) ; comptez tous les inconnus, tous les animalcules microscopiques qui, répand us dans l’air, dans l’eau et les aliments, peuvent lui donner la mort, et tous les accidents innombrables qui peuvent compliquer cette situation horrible, vous n’aurez pas fait le compte des misères de l’homme.

Il faut ajouter d’abord, qu’en écartant par la pensée toutes les horreurs de la paix et de la guerre, tous les maux que je viens de nommer et tous les autres maux, il lui resterait encore l’horreur de se supporter lui même, l’ennui de son vide qui ramènerait toutes les horreurs, et ferait peut-être appel à la tentation pour essayer de le combler.

Il faudrait se souvenir qu’avant le péché l’homme ne s’est pas supporté même immortel et heureux. Il est allé bien vite au fruit défendu.

Il faut ajouter que les plus magnifiques aspirations sont les pièges les plus terribles et que, dans cet animal ruiné, il y a un tigre qui gémit, qui rugit, et dont les gémissements, et les rugissements produisent de nouvelles douleurs suivies de crimes nouveaux.

Tout le bien qu’il renferme, et il en renferme beaucoup, est affreusement voisin du mal.

Enfin, il faut ajouter que ce misérable, qui, tout entier, coeur, âme, esprit et corps, de la pointe des cheveux à la plante des pieds, de la peau au coeur, n’est qu’une plaie, et à qui sa propre corruption se révèle incessamment et perpétuellement par toutes les voies les plus hideuses dont dispose la pourriture, ce monstre qui peut mourir de l’infection du cadavre de son voisin, ce monstre est pétri d’orgueil, et la dernière chose qui meurt en lui c’est l’amour-propre.

Par Ernest Hello

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